La mauvaise foi du déposant : le coup du lapin

Le 11 juin 2009, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a rendu un arrêt clarifiant la notion de mauvaise foi, qui constitue une cause de nullité absolue de la marque communautaire prévue par le Règlement sur la Marque Communautaire.

La société Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (ci-après Lindt & Sprüngli) fabrique et commercialise, depuis le début des années 50, le lapin en chocolat suivant, dénommé “Lapin Or”.

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Lapin Or de Lindt Lapin de Franz Hauswirth

Elle a procédé à son dépôt à titre de marque communautaire tridimensionnelle au courant de l’année 2000, à l’égard des chocolats et articles en chocolat compris en classe 30 de la Classification Internationale de Nice, et a obtenu son enregistrement l’année suivante.

La société Franz Hauswirth distribue depuis 1962 des lapins en chocolat. Elle commercialise notamment le lapin présenté ci-dessus, objet du présent litige.

Après l’enregistrement de sa marque tridimensionnelle, Lindt & Sprüngli a poursuivi en contrefaçon Franz Hauswirth afin d’obtenir la cessation de la production et de la commercialisation dans les Etats membres de l’Union du lapin en chocolat litigieux au motif que celui-ci serait similaire au point d’être confondu avec celui sur lequel elle détient des droits de marque.

Franz Hauswirth a riposté en présentant une demande reconventionnelle en déclaration de nullité de la marque communautaire tridimensionnelle de Lindt & Sprüngli sur le fondement de la mauvaise foi.

La Cour Suprême autrichienne, saisie du litige, a considéré que les lapins en cause étaient similaires au point de prêter à confusion.

Les juges ont alors souligné que l’issue du litige dépendait de la question de savoir si Lindt & Sprüngli était de mauvaise foi au moment du dépôt de sa marque communautaire tridimensionnelle. Dans une telle hypothèse, cette marque pourrait être déclarée nulle.

En effet, l’article 51, paragraphe 1), sous b) du Règlement CE n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, applicable à la date des faits, prévoit que :

1) La nullité de la marque communautaire est déclarée sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :
[…]
b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque
”.

La juridiction autrichienne a donc décidé de surseoir à statuer et a posé à la plus haute instance judiciaire européenne trois questions préjudicielles relatives à la mise en œuvre de cet article.

La CJCE a examiné ces trois questions cumulativement et s’est prononcée sur les indices devant être pris en considération lors de l’examen de la bonne ou mauvaise foi du demandeur, au moment du dépôt d’une marque communautaire.

Il convient de constater que cet arrêt concerne le cas particulier où, lors du dépôt de la demande de marque, plusieurs opérateurs exploitaient d’ores et déjà sur le marché des signes identiques ou similaires pour des produits identiques ou similaires au signe faisant l’objet du dépôt.

La CJCE a considéré que, lorsqu’elles analysent l’existence de la mauvaise foi du demandeur, les juridictions nationales compétentes doivent tenir compte de tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce existants au moment du dépôt, à titre de marque, du signe en cause, et notamment :

  • Le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un Etat membre, un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé.

Cette présomption de connaissance peut notamment résulter de la connaissance générale, dans le secteur économique considéré, d’une telle utilisation.

  • Toutefois cette seule connaissance ne suffirait pas à prouver la mauvaise foi du demandeur : il convient également de considérer son intention au moment du dépôt.

Or, ainsi que l’avait notamment relevé dans ses conclusions l’avocat général, Madame E. Sharpston, “l’intention du demandeur lors du dépôt constitue un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce”.

À ce titre, l’intention de faire obstacle à la commercialisation par un tiers d’un produit peut caractériser la mauvaise foi du demandeur, par exemple dans l’hypothèse où ce dernier n’exploite pas sa marque suite à son enregistrement ou dans l’hypothèse où le tiers exploite depuis longtemps un signe pour les produits ou services en cause, de sorte que ce signe jouit d’ “un certain degré de protection juridique”.

  • La nature de la marque demandée doit également être prise en compte lors de l’examen de la bonne ou mauvaise foi du demandeur. Dans l’hypothèse où le signe consiste en la forme et la présentation d’ensemble du produit et où la liberté de choix des concurrents quant à la forme et la présentation du produit est restreinte, la mauvaise foi du demandeur pourra être prouvée plus aisément, une telle marque permettant au demandeur de faire obstacle non seulement à l’usage par ses concurrents d’un signe identique ou similaire, mais également à la commercialisation de produits comparables.
  • La CJCE a néanmoins tempéré ces critères en soulignant que, même dans certaines de ces hypothèses, il n’est pas exclu que le demandeur poursuive un objectif légitime par l’enregistrement de ce signe.

En effet, si le signe bénéficie d’un certain “degré de notoriété” lors de son dépôt, le demandeur peut alors justifier d’un objectif légitime à procéder au dépôt du signe à titre de marque.

Tel est également le cas si le demandeur, lors du dépôt du signe à titre de marque, sait qu’un tiers commercialise depuis peu un signe copiant le sien, dans la perspective de tenter d’en profiter.

La CJCE a ainsi clarifié les critères pouvant être pris en compte lors de la mise en œuvre de l’article 51, paragraphe 1, sous b) du Règlement CE n°40/94.

Il est néanmoins regrettable que la CJCE n’ait pas fourni davantage de précisions quant au “degré de protection juridique” que peut avoir acquis le signe de tiers ou encore concernant le “degré de notoriété” devant avoir été acquis par le signe du demandeur préalablement à son dépôt.

On peut aussi se demander si la CJCE aurait été en mesure de définir ces notions dont l’appréciation dépend des cas d’espèces.

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