Du champ d’application du principe de l’autorité de la chose jugée

Le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes a rendu, le 14 octobre 20091, une décision dans le cadre de l’action en annulation intentée par la société Ferrero SpA à l’encontre de la marque communautaire semi-figurative TIMI KINDERJOGHURT n°000792978 de la société Tirol Milch reg. GmbH Innsbruck.

La société Tirol Milch reg. GmbH Innsbruck a déposé, le 8 avril 1998, une demande de marque communautaire portant sur le terme KINDERJOGHURT inscrit dans une police particulière, surmonté du terme TIMI, inséré dans un ovale gris, pour des yaourts et produits à base de yaourt en classe 29.

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Marque semi-figurative TIMI KINDERJOGHURT

La société Ferrero SpA a formé opposition, le 14 janvier 1999, à l’encontre de l’enregistrement de cette demande de marque pour tous les produits visés par celle-ci, sur la base de son droit de marque antérieur sur le terme KINDER en classe 30 en Italie.

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Exemple de marque KINDER

L’opposante fondait sa demande, d’une part, sur  le fait que l’usage de cette marque serait de nature à porter préjudice au caractère distinctif et à la renommée de sa marque KINDER, ou constituerait une exploitation injustifiée de cette dernière (article 8 §5 du Règlement sur la marque communautaire n°40/94), et, d’autre part, sur l’existence d’un risque de confusion entre la marque identifiée et sa marque KINDER (article 8 §1 b) du Règlement sur la marque communautaire n°40/94).

La division d’opposition de l’OHMI2 a rejeté l’opposition dans son intégralité, au motif que, d’une part, la société Ferrero SpA ne rapportait pas la preuve, dans la langue de la procédure, de la notoriété de sa marque en Italie, et que, d’autre part, les signes KINDER et TIMI + KINDERJOGHURT présentaient de nombreuses différences visuelles et  phonétiques, propres à écarter tout risque de confusion entre les deux marques.

La société Ferrero SpA a interjeté appel devant les Chambres de recours de l’OHMI et a une nouvelle fois été déboutée de ses prétentions3.

La marque communautaire TIMI KINDERJOGHURT a en conséquence été enregistrée.

Insatisfaite de cette décision, la société Ferrero SpA a, le 19 aout 2005, engagé une action devant la division d’annulation de l’OHMI en vue d’obtenir cette fois-ci l’annulation de la marque communautaire TIMI KINDERJOGHURT, sur le fondement des mêmes articles 8 §1, b) et 8 § 5 du Règlement sur la marque communautaire n°40/94, et sur la base de l’ensemble de ses droits de marques antérieurs sur le terme KINDER.

Bien lui en prend car la division d’annulation fait droit à ses arguments, annule en conséquence la marque communautaire TIMI KINDERJOGHURT sur la base du seul article 8 §5 du Règlement sur la marque communautaire n°40/94, et condamne la société Tirol Milch reg. GmbH Innsbruck à supporter les frais de la procédure.

Cette dernière forme un recours à l’encontre de cette décision auprès de l’OHMI.

La société Tirol Milch reg. GmbH Innsbruck invoque, à l’appui de son recours, l’irrecevabilité de l’action en annulation, en raison du principe de l’autorité de la chose jugée, qui fait obstacle à ce qu’un même litige, déjà tranché par une décision finale, soit rejugé.

La Chambre de recours devait en l’espèce déterminer si le principe de l’autorité de la chose jugée a vocation à s’appliquer aux décisions finales rendues par une chambre de recours dans le cadre d’une procédure d’opposition, et si ce principe fait dès lors obstacle à une action en annulation postérieure liant les mêmes parties et portant sur la même marque communautaire.

La Chambre de recours4 opère une distinction entre l’effet négatif de la chose jugée, et l’effet positif.

Elle considère que les décisions rendues dans le cadre d’une opposition sont dépourvues de l’effet négatif  du principe de l’autorité de la chose jugée, à savoir qu’elles ne font pas obstacle à la recevabilité d’une action postérieure en annulation entre les mêmes parties et portant sur la même marque.

L’OHMI fonde notamment son raisonnement sur les jurisprudences de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de Justice des Communautés Européennes, qui ne reconnaissent l’autorité de la chose jugée qu’aux décisions finales rendues en matière juridictionnelle et non administrative.

Les articles  52 4)5 et 96 2)6 du Règlement sur la marque communautaire n°40/94 prévoient, par exception, que l’autorité de la chose jugée bénéficie aux décisions finales rendues dans le cadre d’une action en annulation d’une marque communautaire.

Le Règlement ne prévoit cependant pas de règle spécifique pour les décisions finales rendues dans le cadre d’une action en opposition à l’encontre d’une marque communautaire.

La Chambre de recours en déduit l’inapplicabilité du principe d’autorité de la chose jugée aux décisions finales d’opposition.

Elle considère néanmoins que la division d’annulation était liée par les constatations et les conclusions de la décision finale rendue dans le cadre de l’opposition, en vertu, d’une part, de la règle nemo potest venire contra factum proprium, qui signifie que l’administration est tenue par ses propres actes, en particulier lorsque ceux-ci ont permis aux parties à la procédure d’acquérir des droits, et d’autre part, des principes de protection des droits acquis, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

Concernant le fond du litige, la Chambre de recours considère, à l’instar de la division d’opposition, que les signes en comparaison ne sont pas similaires.

La condition d’application des articles 8 §1 et 8 §5 du Règlement sur la marque communautaire n°40/94 n’étant pas remplie, à savoir l’identité ou la similitude des signes, la Chambre de recours annule la décision de la division d’annulation,  rejette la demande en nullité, et condamne la société Ferrero SpA à supporter les frais de la procédure.

Le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, saisi par la société Ferrero Spa, approuve la Chambre de recours en ce sens qu’elle a considéré que le principe de l’autorité de la chose jugée n’était pas applicable dans la relation entre une décision finale en matière d’opposition et une demande en nullité, pour les raisons énoncées par celle-ci (point 34).

Le Tribunal précise cependant que si les constations opérées dans la décision finale en matière d’opposition ne peuvent être totalement ignorées lorsqu’il s’agit de statuer sur la demande en nullité opposant les mêmes parties, portant sur le même objet et fondée sur les mêmes motifs, dès lors que les constatations ou les points tranchés ne sont pas affectés par de nouveaux éléments de fait, de nouvelles preuves ou de nouveaux motifs, elles ne lient pas pour autant le Tribunal (point 35).

Ces constatations ne constituent qu’un « élément qui peut être pris en considération pour apprécier si un signe est apte à être enregistré » (point 36).

Retenir le contraire reviendrait en effet à « vider de tout effet utile » une action en annulation postérieure entre les mêmes parties, portant sur le même objet et fondée sur les mêmes motifs, procédure pourtant expressément prévue par le Règlement sur la marque communautaire n°40/94 (point 36).

On notera que le Tribunal confirme la décision de la Chambre de recours sur le fond, venant ainsi rassurer ses éventuels détracteurs.

Il rejette en conséquence le recours et condamne la société Ferrero SpA aux dépens.

Gageons que cette décision vienne définitivement mettre un terme au litige opposant les sociétés Ferrero SpA et Tirol Milch reg. GmbH Innsbruck.

1 TPICE 14 octobre 2009, deuxième chambre, affaire n° T-140/08
2 OHMI, division d’opposition, 29 septembre 2009, affaire n°2270/2000
3 OHMI, 4ème Chambre de recours, 3 novembre 2003, affaire n°1147/2000-4
4 OHMI, 2nde Chambre de recours, 30 janvier 2008, affaire n°R 682/2007-2
5 Article remplacé par l’article 53 (4) du Règlement sur la marque communautaire n°40/94
6 Article remplacé par l’article 100 (2) du Règlement sur la marque communautaire n°40/94

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