Les œuvres de l’esprit, nouvelles victimes du tabac

Quel soulagement, le 25 mai dernier, quand l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a décidé que Jacques Tati et Coco Chanel pouvaient « s’afficher » sans censure, pipe à la bouche et cigarette à la main !

En effet, lorsque Métrobus, la régie publicitaire de la RATP, n’avait accepté de promouvoir l’exposition Jacques Tati « deux temps, trois mouvements » qu’à la condition que le personnage de Monsieur Hulot, choisi pour l’affiche, y apparaisse sans sa pipe, la surprise avait été totale.

Mais quand le problème resurgit pour l’affiche du film « Coco avant Chanel », c’est une réelle incompréhension qui s’installe.

Métrobus considère que ces affiches où Monsieur Hulot porte la pipe aux lèvres et où Audrey Tautou, incarnant Coco Chanel, tient une cigarette à la main, constituent des publicités indirectes en faveur du tabac.
Publicités qui, en vertu de la loi Evin du 10 janvier 1991, sont interdites.

Alors, quand droit d’auteur et droit de la santé publique se rencontrent, gare à ne pas mélanger les genres !

Les amateurs d’art, et les consommateurs de façon générale, sont assez intelligents pour faire la différence entre une affiche, réelle œuvre de l’esprit et une publicité en faveur du tabac.
Le fait de voir Monsieur Hulot avec sa pipe ou Coco Chanel avec sa cigarette n’incite personne à fumer mais rend bien hommage à ces personnages, avec les «emblèmes» qui les caractérisent.

Jacques Tati 1

Jacques Tati sans sa pipe

Publicité de l’exposition
de Jacques Tati pour le grand publique
Publicité de l’exposition
de Jacques Tati
pour Métrobus

Coco Chanel Coco Chanel censure
Publicité du film « Coco avant Chanel »
pour le grand publique
Publicité du film « Coco avant Chanel »
pour Métrobus

Nous assistons là à la naissance d’un réel débat : quelle est la place d’un droit de propriété intellectuelle face à une loi de santé publique ?

Si nous suivons l’interprétation stricte que Métrobus a faite de la loi Evin, la réponse serait a priori : aucune.

Métrobus considère en effet que les prérogatives attachées à un droit de propriété intellectuelle doivent s’effacer dès lors qu’il est question de santé publique. Et, si l’auteur refuse de modifier son œuvre, il est tout bonnement censuré.

Alors quand l’ARPP s’est réunie le 25 mai dernier, d’aucun espérait que le débat puisse être tranché en tenant compte de tous les droits en présence.

Certes, la question de la place du droit d’auteur a été soulevée, mais l’argumentation retenue est pour le moins surprenante.

En effet, l’ARPP a décidé que des produits liés au tabac, comme la pipe, le cigare ou la cigarette, pourraient désormais figurer sur des publicités sous certaines conditions et que les régies publicitaires « pourraient, désormais, ne plus déconseiller la représentation, dans des campagnes publicitaires, de produits de consommation de tabac ».

Si l’ARPP s’était limitée à ce bref développement sans préciser les conditions d’exercice du régime d’exception, sa décision aurait pu apparaître satisfaisante. Bien qu’il eut été néanmoins nécessaire de préciser qu’il ne s’agissait pas réellement en l’espèce d’affiche publicitaire mais plutôt de la représentation d’une œuvre de l’esprit, les conditions auraient en effet pu être déterminées au cas par cas.

Mais l’ARPP a malheureusement précisé ses conditions. Selon elle, trois critères doivent ainsi être remplis pour qu’une affiche où apparaît un produit du tabac ne soit pas considérée comme une publicité en faveur du tabac :

  • « les campagnes doivent émaner d’annonceurs qui n’ont aucun lien avec l’industrie ou la distribution du tabac, et avoir une finalité culturelle ou artistique »,
  • les personnes représentées « doivent être disparues, ou figurer dans des œuvres d’art partie intégrante d’une promotion publicitaire pour une manifestation artistique »,
  • il doit s’agir de produits de consommation du tabac « inséparables de l’image et de la personnalité de la personne disparue qui y figure ».

C’est notamment sur ces dernières conditions que l’incompréhension règne : le produit du tabac ne doit-il être inséparable de l’image et de la personnalité de la personne mise en scène que dans le cas où cette dernière est « disparue » ? Ainsi, si par exemple un film biographique consacré à José Bové, est réalisé et qu’une affiche le représente avec sa pipe aux lèvres, cette affiche serait considérée par l’ARPP comme étant une publicité en faveur du tabac dans la mesure où ce dernier n’est pas encore « disparu » ? Ou serait-elle au contraire considérée comme étant « une promotion publicitaire pour une manifestation artistique » ?

Afin qu’aucun doute ne soit possible, il eût été plus cohérent de rédiger ainsi les deux dernières conditions :

  • les personnes représentées « doivent figurer dans des œuvres d’art partie intégrante d’une promotion publicitaire pour une manifestation artistique »
  • ou, « être disparues » et que les produits de consommation du tabac « soient inséparables de l’image et de la personnalité de la personne disparue qui y figure ».

L’idéal aurait été de préciser que ces conditions ne sont évidemment pas cumulatives et de définir la notion de « manifestation artistique », mais nous supposons qu’il faut l’interpréter largement.

Certes, l’intention de l’ARPP n’est pas mauvaise : elle essaye de préserver l’exercice du droit d’auteur dans un monde où il peut être menacé par d’autres intérêts, tels que la santé publique. Mais, il faut tout de même avouer que les conditions qu’elle pose sont rédigées maladroitement et risquent de donner lieu à bon nombre d’interprétations.

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