Lors d’un récent entretien relayé dans la presse française le 11 janvier 2010, Madame Fadela Amara, Secrétaire d’Etat à la Ville, a affirmé sa volonté de « nettoyer au Kärcher » la violence dans les cités, en rappelant que le droit à la sécurité n’était pas l’apanage des « bourgeois » .
La société allemande Kärcher, leader sur le marché du matériel de nettoyage haute pression et autres dispositifs de nettoyage, s’est immédiatement émue de cette nouvelle utilisation de sa marque mondialement connue par une personne politique.
En effet, en 2007, l’actuel Président de la République, Monsieur Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur, avait déjà fait une déclaration dans laquelle il avait utilisé la marque Kärcher de manière usuelle lors d’une visite en Seine-Saint-Denis, déclaration à l’origine d’une importante polémique.
Les produits de la marque KÄRCHER avaient, par la suite, fait l’objet de nombreuses caricatures aux effets désastreux sur son image, contraignant la société Kärcher à une vaste et coûteuse campagne de communication dans le but de redorer son blason.
Au-delà de l’atteinte portée à l’image de la marque KÄRCHER et de la société qui l’exploite, un tel usage public pour désigner de manière générique des dispositifs de nettoyage porte également préjudice à son titulaire dès lors qu’il participe à rendre le signe KÄRCHER usuel.
Or, s’il est possible de proroger indéfiniment la protection attachée à un droit de marque en procédant à son renouvellement, il est des cas où, au cours de son existence, une marque peut être déclarée invalide par une décision de justice.
Parmi ces cas, l’article L714-6 du code de la propriété intellectuelle dispose que le propriétaire d’une marque peut être déchu de ses droits si ladite marque est devenue, du fait de son propriétaire, la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service qu’elle désigne.
Le mécanisme de perte de droit de marque de cette disposition, plus connu sous le nom de « dégénérescence » est soumis à la réalisation de trois conditions cumulatives :
- le signe de la marque en question doit être devenu la désignation usuelle du produit sur lequel il est apposé,
- le fait pour le signe de devenir usuel doit résulter d’une faute imputable au titulaire de la marque, et
- la déchéance doit être prononcée par une décision de justice.
Ainsi, celui qui souhaite obtenir la déchéance d’une marque doit nécessairement le faire au moyen d’une action judiciaire, soit à titre principal (en attaque) soit, plus généralement, à titre reconventionnel (en tant que moyen de défense lors d’une action en contrefaçon).
En premier lieu, il appartient au demandeur de l’action en déchéance de démontrer que la marque a perdu le pouvoir attractif qui lui a été accordé au moment de l’enregistrement en apportant la preuve que le signe est perçu des consommateurs comme le nom générique d’un produit ou d’un service.
L’une des fonctions essentielles de la marque étant de garantir que tout produit ou service revêtu du signe a été mis dans le commerce par une entité unique ou sous la responsabilité de celle-ci, le droit perd sa raison d’être dans l’éventualité où le signe n’est plus perçu comme l’indication d’une origine commerciale mais comme la désignation générique d’un produit ou d’un service commercialisé par toute entreprise du secteur concerné.
Le fait pour une marque de devenir usuelle résulte d’une utilisation répétée tant dans la sphère économique (par des concurrents du titulaire) que dans la sphère non économique (article de presse, roman,…). Le titulaire, lui même, peut, s’il n’y prend pas garde, participer à rendre sa marque propre usuelle dans la manière dont il communique sur ses produits ou ses services.
Cela peut résulter d’un lent processus (comme le cas des marques MOBYLETTE et FRIGIDAIRE) ou être fulgurant (c’est ce qui est récemment arrivé à la marque TEXTO de la société SFR qui s’est vue déclarée déchue pour cause de dégénérescence par la Cour d’Appel de Paris en septembre 2009) selon l’engouement connu par les produits et services. Certaines catégories de marques sont ainsi plus exposées que d’autres à cet écueil, en particulier celles bénéficiant d’une renommée ou d’une notoriété importante ou encore celles exploitées sur des produits particulièrement innovants et pour lesquels il n’existe pas de nom générique.
Dans le cas qui nous intéresse, la marque KÄRCHER a été innovante et bénéficie d’une notoriété certaine en matière de dispositifs de nettoyage utilisant de l’eau à haute pression. Néanmoins, aussi notoire soit-elle, cette marque reste l’indication que l’appareil nettoyant commercialisé a été mis sur le marché par la société Kärcher et non par l’un de ses concurrents sur le marché. La limite entre la notoriété d’une marque et sa dégénérescence peut, dans certains cas, être très mince.
Cela étant, pour qu’une marque soit déchue, il ne suffit pas que son signe devienne la désignation usuelle d’un produit ou d’un service couvert par son enregistrement, encore faut-il, en second lieu, que le titulaire de la marque n’ait pas protesté lorsque sa marque a été utilisée de manière générique.
C’est au titulaire d’apporter la preuve d’actions tendant à empêcher sa marque de devenir usuelle.
La réaction du titulaire peut prendre la forme d’une simple lettre de mise en demeure rappelant, d’une part, au responsable de l’utilisation générique de la marque les droits détenus et sollicitant, d’autre part, un correctif ou que l’usage impropre ne se reproduise plus à l’avenir.
Toutefois, pour faire efficacement échec à la dégénérescence, le titulaire de la marque ne peut se contenter de protester par voie de mises en demeure. Des actions judiciaires doivent également être initiées dans le cas où des lettres de réclamation ne suffiraient pas à faire cesser le trouble. De même, il appartient au titulaire d’empêcher ses concurrents d’enregistrer et d’exploiter des marques dont le signe reprendrait la marque première de manière générique.
Il n’est pas nécessaire qu’une intervention soit effectuée de manière systématique à un usage générique de la marque. Il serait, en effet, difficile et onéreux d’opérer un contrôle total de tous les médias auquel le public peut avoir accès de nos jours et certaines utilisations peuvent échapper à la vigilance du titulaire.
Cela étant, plus le ratio du nombre d’interventions par rapport au nombre d’usages est élevé, meilleures sont les chances d’échapper à la déchéance par dégénérescence. De même, la protestation à une utilisation générique dans un média bénéficiant d’une grande visibilité devrait avoir plus d’impact que la protestation à une utilisation sous une forme plus confidentielle.
Il est certain que les réactions du titulaire doivent être proportionnées à l’intensité de l’usage usuel : si l’usage générique est systématique, le titulaire se doit alors de réagir de manière intransigeante pour défendre le caractère distinctif de sa marque.
Toujours est-il que des marques devenues usuelles ne seront pas déchues si leur titulaire démontre avoir entrepris toutes les actions nécessaires, même sans succès, pour empêcher la dégénérescence.
Les dispositions de l’article L714-6 sont donc tout autant la sanction du fait que la marque soit devenue la désignation générique d’un produit ou d’un service couvert par l’enregistrement que la sanction de la faute du titulaire de ne pas avoir défendu sa marque.
La réaction de la société Kärcher suite aux utilisations génériques de sa marque par Monsieur Sarkozy en 2007 ou plus récemment par Madame Amara nous donne l’occasion d’illustrer les propos sur les protestations que doivent exprimer les titulaires pour lutter contre le risque de la dégénérescence qui constitue une véritable « épée de Damoclès » suspendue au dessus de toute marque.
Pour assurer la pérennité de leurs droits, il est donc important que les titulaires de marques, par une surveillance étroite, restent attentifs à l’usage fait de leurs signes distinctifs par des tiers afin d’identifier les références impropres et en faisant valoir leurs droits chaque fois que cela est nécessaire.