« Les aventures de Saint-Tin et son ami Lou » est une série de romans parodiques directement inspirée des bandes dessinées des célèbres aventures de Tintin.
Voilà résumés les faits à l’origine du litige opposant, depuis novembre 2008, la société ARCONSIL éditrice des romans des aventures de Saint-Tin aux ayants droit d’Hergé (Madame Fanny RODWELL, veuve d’Hergé et la société Moulinsart) autour de l’exception de parodie en matière de droit d’auteur.
Ce litige avait été l’occasion de quelques considérations sur les conditions d’application de cette exception (lire Les aventures de Tintin – Le secret de la parodie).
Par un jugement rendu le 9 juillet 2009, le Tribunal de Grande Instance d’Evry s’était prononcé en faveur de l’application de l’exception parodique aux romans incriminés mais avait néanmoins condamné l’éditeur ARCONSIL pour parasitisme (lire à ce sujet notre article intitulé Saint-Tin contre Tintin : parasiter n’est pas parodier).
Ainsi que l’on pouvait s’y attendre, la société ARCONSIL, de même que les ayants droit d’Hergé, ont relevé appel de ce jugement, la première pour contester la condamnation pour parasitisme prononcée contre elle, les seconds pour obtenir l’infirmation du caractère parodique des romans incriminés.
C’est dans ce contexte que, le 18 février 2011, la Cour d’Appel de Paris a rendu un arrêt intéressant à plus d’un titre et dont le texte intégral est disponible ici.
S’agissant de l’action des ayants droit d’Hergé sur la base du droit d’auteur, la Cour confirme que les aventures de Saint-Tin et son ami Lou relèvent bien de l’exception de parodie.
Après avoir rappelé que la parodie trouve à s’appliquer quelque soit le genre de l’œuvre d’inspiration, y compris lorsque celle-ci a déjà une orientation humoristique, la Cour va s’attacher à déterminer si chacune des aventures de Saint-Tin publiées à ce jour est bien une parodie (i) et respecte les lois du genre qui sont les conditions légales posées par l’article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle (ii).
La parodie suppose une intention de faire rire et un travestissement suffisant, de sorte qu’il n’existe aucune confusion possible entre les œuvres en comparaison.
Selon la Cour d’appel, le détournement humoristique est perçu sans difficulté dans tous les romans incriminés que ce soit au niveau des titres, des illustrations de couvertures, des personnages et des trames narratives.
Par ailleurs, pour ce qui est du travestissement des œuvres originales, la Cour relève l’existence d’une distanciation significative entre les œuvres à chacun des niveaux incriminés excluant toute confusion possible et ce, en dépit des références non équivoques aux aventures de Tintin autorisées par le genre parodique.
A titre d’illustration de ce travestissement, Saint-Tin et ses compagnons ont des caractéristiques relativement proches des personnes propres à Hergé. Il s’agit dans les deux cas d’un reporter, d’un vieux capitaine, d’un savant original, de jumeaux. Néanmoins, des traits inédits, qualifiés de loufoques par la Cour, leurs sont attribués dans les œuvres parodiques.
De même, s’il est vrai que les parodies font des références directes à quelques scènes tirées des albums correspondant des aventures de Tintin, les prologues, les épilogues et les intrigues des œuvres en comparaison sont différents.
Enfin, la Cour relève que dans leur entreprise parodique, les auteurs des romans litigieux n’ont pas outrepassé les lois du genre dès lors qu’ils ne se sont pas contentés de puiser dans l’univers des œuvres d’Hergé, mais ont eu recours à un style propre caractérisé par l’utilisation de nombreux calembours, du burlesque et d’un travestissement comique.
Par conséquent, les aventures de Saint-Tin et son ami Lou étant des parodies au sens de l’article L122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, il est confirmé que ces ouvrages ne portent pas atteinte aux droits détenus par Madame RODWELL et la société Moulinsart sur les bandes dessinées des aventures de Tintin.
Mais au delà de la confirmation de l’existence d’une parodie et par conséquent l’absence de contrefaçon, le point le plus intéressant de l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris concerne les griefs de parasitisme retenus à l’encontre de la société ARCONSIL en première instance.
Bien qu’ayant reconnu la qualité de parodie aux aventures de Saint-Tin, le TGI d’Evry avait cependant considéré que la société ARCONSIL s’était placée dans le sillage de la notoriété de Tintin et s’était donc rendue coupable de parasitisme dans son entreprise de parodier chacun des albums de Tintin et en faisant des références directes à Tintin dans les romans incriminés.
Cette position apparaissait discutable. Nous avions d’ailleurs exprimé des réserves à cet égard dans notre commentaire du jugement du TGI d’Evry.
En effet, les romans litigieux se voyaient attribuer la qualité de parodie, ce qui suppose des références nécessaires aux œuvres parodiées. Dans le même temps, ces mêmes références étaient considérées comme fautives, conduisant au comportement parasitaire de l’éditeur.
Sans surprise, cette contradiction amène la Cour d’Appel de Paris à infirmerle jugement du TGI d’EVRY en ce qui concerne le parasitisme.
Selon la Cour, il ne peut être reproché de faute à la société ARCONSIL en raison des références aux œuvres d’Hergé dans les romans incriminés alors que ces mêmes références relèvent de l’exception légale de parodie.
Le contraire viderait irrémédiablement l’exception de parodie de toute substance.
Au surplus, il n’y a pas de faute dans la démarche d’ARCONSIL d’entreprendre l’édition d’une parodie pour chacun des albums de Tintin, à la condition que chacune des parodies satisfasse aux exigences légales.
Le propos n’est pas ici de poser en principe général que les notions de parodie et de parasitisme sont exclusives l’une de l’autre.
Il serait tout à fait envisageable qu’une parodie soit considérée comme parasitaire, à la condition toutefois que la faute de l’éditeur ou de l’auteur de la parodie résulte de faits distincts de ceux reprochés au titre de la contrefaçon.
En d’autres termes, le comportement parasitaire doit être prouvé en dehors de l’œuvre parodique elle-même.
Cela ne semble pas être le cas en l’espèce, ainsi en a jugé souverainement la Cour d’Appel de Paris.
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