Deuxième volet de notre étude sur les points chauds du cybersquatting mondial : aujourd’hui, la Russie, entre cybersquatteurs professionnels, système judiciaire complexe et solutions alternatives.
La Russie : les « Tsars » du cybersquatting
Il y a 5 ans jour pour jour, GOOGLE Inc récupérait le nom de domaine google.ru, au terme d’un marathon judiciaire devant les tribunaux russes. Comme d’autres avant lui, l’éditeur du moteur de recherche le plus célèbre du monde a dû faire l’expérience du cybersquatting « à la russe ».
10ème extension géographique à franchir le million d’enregistrements en septembre 2007 (source mailclub), le « .ru » compte aujourd’hui près de 1,8 millions de noms de domaine et un taux de progression de plus de 5% par mois qui témoignent de la bonne santé du marché local (sans compter la récente renaissance du « .su » soviétique, très prisé !).
La charte de nommage particulièrement souple n’est pas étrangère à ce succès (aucune présence locale ne conditionne le dépôt d’un nom), mais autant le dire clairement : le cybersquatting est un sport national en Fédération de Russie. Et comme dans toute discipline sportive, il a ses stars (ses « tsars » devrait-on dire plutôt !) : les noms de Pavel GROSS, Arkady BURAKOV, Denis MELNIKOV ou celui de la société CYBERBOX Ltd sont désormais bien connus des titulaires de marques qui ont eu affaire à ces spéculateurs indélicats.
Le vrai problème en Russie ne vient pas du fait que le cybersquatting y soit populaire, mais plutôt de l’absence d’une procédure de médiation ou d’arbitrage permettant aux ayants droit de faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle. Pourquoi ? Les autorités russes y sont opposées, tout simplement. Cela ne date pas d’hier et rien n’indique que les choses changeront dans les prochains temps.
Cela complique considérablement la donne pour les titulaires qui voient leurs marques usurpées par des cybersquatteurs particulièrement avisés des procédures. Ainsi, il est devenu rare d’obtenir la rétrocession d’un nom de domaine après l’envoi d’une lettre de mise en demeure, même par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un conseil russe. La plupart du temps, les pirates répondent par une offre de vente de l’actif immatériel : dans le meilleur des cas quelques centaines d’euros, le plus souvent plusieurs milliers !
En effet, les spéculateurs les plus aguerris savent très bien qu’une action en justice en Russie a un coût : rarement moins de 15 000 à 20 000 euros en première instance. En conséquence, les offres de vente qu’ils formulent sont de nature à placer les sociétés face à un dilemme d’ordre financier mais aussi juridique : racheter un nom stratégique pour 5000 à 10000 euros (montants régulièrement observés) ou poursuivre avec les coûts importants que cela engendrera. Sur le plan stratégique, un rachat bien géré aboutira sans surprise au transfert du nom, tandis que l’action en justice comporte toujours un aléa…
Pour prospérer devant les juridictions civiles russes sur le terrain de la contrefaçon, il vaut mieux en effet que sa marque soit notoire en Fédération de Russie et/ou que le nom de domaine litigieux ait été exploité pour des produits et services visés dans l’enregistrement.
Dans l’hypothèse d’une marque dont la notoriété est établie, il sera néanmoins relativement facile d’obtenir l’annulation du nom de domaine frauduleux, à charge toutefois pour le titulaire d’agir promptement pour obtenir le réenregistrement à son profit.
A défaut de renommée, il faudra démontrer alternativement l’usage contrefaisant, l’usage attentatoire à l’image ou l’offre à la vente transmise par écrit en réponse à une lettre de mise en demeure, entre autres.
A noter également que les juridictions russes n’acceptent pas les « class complaints » (actions collectives) qui auraient pu permettre à plusieurs titulaires de droits de poursuivre l’un ou l’autre « serial cybersquatter » sévissant en Russie.
Devant les difficultés inhérentes au système judiciaire russe, il peut apparaître plus intéressant d’utiliser des voies alternatives : le rachat anonyme ou la récupération automatique.
Le second marché, c’est-à-dire le marché de l’occasion des noms de domaine, est particulièrement florissant en Russie. Il n’est pas rare de voir un nom de domaine changer de propriétaire après l’envoi d’un courrier de mise en demeure. Mais ce turn over représente également une opportunité pour les titulaires de droits, qui peuvent mandater leurs conseils pour négocier sous couvert d’anonymat le rachat d’un nom de domaine au meilleur prix. Les résultats de cette stratégie sont parfois étonnamment efficaces ! Il faut néanmoins gérer prudemment la phase de transfert de propriété qui intervient au terme d’une procédure particulièrement complexe, tant sur le plan administratif que technique.
Enfin, le registre russe RU-CENTER propose des services de récupération automatique (« backorder ») de noms de domaine non renouvelés par leurs titulaires à échéance.
Pour quelques centaines de dollars, le registre surveille la date d’expiration du nom de domaine et, dans l’hypothèse où il n’est pas renouvelé, procède au réenregistrement au profit du postulant. Toutefois, si plusieurs candidats souhaitent obtenir le même nom de domaine, le registre les départage au terme d’une phase d’enchères. Ce système, qui ne s’applique pas aux noms qui font par ailleurs l’objet d’un contentieux judiciaire, peut s’avérer particulièrement intéressant pour les noms de domaine qui ne constituent pas une ressource stratégique à court terme pour l’entreprise.
La mise en œuvre de ces solutions suppose nécessairement une évaluation juridique au cas par cas à laquelle le titulaire de droits procèdera en étroite collaboration avec un conseil expérimenté sur ces problématiques.
La semaine prochaine : l’Inde.
Lire par ailleurs :
http://www.domainesinfo.fr/interview/64/andrei-m-mincov-il-y-a-encore-peu-de-recours-contre-le-cybersquatting-en-russie.php