Le téléchargement à l'usage des juristes (Analyse)

Les praticiens du droit sont parfois caricaturés pour leur emploi de termes spécifiquement liés à la sphère juridique. Le mort saisit le vif, le débirentier verse le bouquet, « en mariage trompe qui peut », nos baux sont emphytéotiques et nos créanciers chirographaires.

Le grand public comprendra aisément que ces termes ne sont pas nécessairement la marque de la préciosité de leurs utilisateurs, mais bien l’héritage de règles anciennes toujours appliquées en raison de leur pertinence. Il est en effet plus commode de résumer un concept long à traduire par l’usage d’un seul mot ou expression.

Dans le prolongement de cette observation, la loi et la jurisprudence trouvent parfois utile de désigner un concept moderne par un mot ou une expression unique. Ce fut par exemple le cas du « concubinage » dans la loi du 15 novembre 1999 ou de l' »accident de la route » dans la loi Badinter de 1985.
A ce jour, malgré l’évocation de concepts proches (notion de « communication au public en ligne » de la LCEN), ni la loi, ni les tribunaux n’ont revendiqué de définition juridique affirmée de la notion de téléchargement. Ce constat ne reflète pourtant pas les usages de certains acteurs du droit, hommes politiques ou techniciens qui présentent fréquemment leur définition du téléchargement. Naturellement celle-ci diffère selon les intervenants.

Nous avions déjà présenté aux juristes quelques clefs de compréhension de la notion d' »adresse IP » dans un précédent article, il convient désormais de relever le

même défit épineux pour la notion de « téléchargement ».

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L’état des lieux :

Le téléchargement est une notion héritée directement de l’informatique, elle est en conséquence inévitablement reliée à des concepts techniques. En outre, malgré certaines positions soutenues avec pertinence, il est communément admis que le mot trouve son origine dans la notion anglaise de « download ».

Il semble que le grand public perçoive majoritairement le téléchargement comme « le fait pour un internaute de transférer depuis un ordinateur distant, un ou plusieurs fichiers multimédia vers son propre ordinateur ». On peut généralement déceler cette acception en filigrane dans les débats et interventions sur le sujet.

On regrettera toutefois que les articles traitant du concept de téléchargement prennent rarement le soin de proposer leur définition de cette notion. L’internaute est encouragé à se renseigner en navigant sur les franges plus techniques du web où cohabitent des dizaines de définitions différentes du téléchargement. Force est de constater la difficulté à laquelle se heurte tout débat sur le téléchargement lorsque ses intervenants pensent chacun faire référence à un concept différent.
Ce phénomène tend hélas à entretenir l’idée générale d’hermétisme des débats techniques, et plus particulièrement ceux liés à la question du téléchargement qui semblent en décourager plus d’un.

Ce constat démontre en tout cas que le mot « téléchargement » peut bien faire référence à plusieurs notions.

A titre d’illustration, en France, certaines définitions introduisent des nuances pertinentes à la notion de téléchargement :
Le téléchargement montant
Le téléchargement descendant
Le téléchargement légal
Le téléchargement illégal
Le téléchargement technique
Le téléversement

La notion de téléchargement stricto sensu apparaît bien comme le terme englobant cette multitude de concepts, chacun jouissant par nature d’une définition plus précise et restrictive.
Pour s’entendre sur la définition du téléchargement, il conviendra de choisir celle qui sera à la fois :

  • suffisamment générale pour ne pas priver de sens les concepts spécifiques précités,
  • suffisamment précise pour expliquer fidèlement les aspects techniques de la notion. C’est à dire décrire un phénomène qui consiste en un transfert d’informations numériques supposant un éloignement physique entre les organes d’émission et de réception des informations.

Proposition de définition et idées reçues :

Afin de nous entendre sur le sujet traité, nous proposons la définition suivante :
Le téléchargement est, en informatique, la transmission d’informations numériques par télécommunication.

Cette définition pourrait être jugée courte, voire imprécise, mais la neutralité du phénomène qu’elle décrit impose d’en limiter le champ.
En effet, et contrairement à l’appréhension générale de la notion :

  • le téléchargement n’est pas toujours un indicateur fiable de la volonté
    La complexité de fonctionnement des systèmes d’exploitation standardisés contemporains laisse une large place à l’inconnu pour l’utilisateur lambda. Celui-ci trouvera bien difficile de décrire et expliquer l’ensemble des processus initialisés de manière automatique par son terminal. Si l’on ajoute à cela la tendance commune de tous les logiciels à disposer de fonctionnalités en ligne (mise à jour, aide en ligne etc.) dont certaines sont complètement automatisées et transparentes (exemple d’un terminal qui souhaite définir sa place au sein d’un réseau), la tâche est d’autant plus complexe. Il en résulte une réelle problématique juridique sur l’établissement de la volonté des téléchargeurs, voire de leur seule intervention dans un téléchargement.

    Le téléchargement ne suppose pas nécessairement l’intervention simultanée d’une personne. Il peut être initialisé automatiquement en différé. Le moment pourra généralement être défini par l’utilisateur d’un terminal, mais parfois, ce sont les concepteurs des logiciels du terminal qui auront défini ces paramètres de manière plus ou moins transparente pour l’utilisateur (exemple des mises à jours automatiques de logiciels, des processus transparents des systèmes d’exploitation mais aussi des logiciels espions, virus etc.).

    La question du moment de déclenchement d’un téléchargement pose parfois encore plus de problèmes de prévisibilité c’est par exemple le cas lorsque le téléchargement est initialisé par des moyens logiciels faisant intervenir le hasard ou lorsque le téléchargement se déclenche à un moment dépendant de paramètres totalement étrangers à l’utilisateur comme au concepteur (état d’encombrement d’un réseau, état de disponibilité d’une source de donnée etc.).

    L’apparition des logiciels pare feu (firewall) qui peuvent bloquer les flux entrant et sortant d’un terminal ne fait que résoudre imparfaitement cette problématique. Par manque de clarté lorsqu’ils sollicitent les instructions des utilisateurs, ils exposent encore trop souvent les terminaux au cloisonnement ou à l’inverse aux griffes des cyber délinquants. Quoi qu’il en soit, l’idée de téléchargement rend plus complexe l’appréhension de la volonté des utilisateurs en ligne, en particulier au pénal. Sans examen précis de la nature des informations téléchargées et du contexte, il est bien malaisé de prouver à quel point un téléchargement peut être la manifestation de la volonté de son auteur.

    La question du contenu des données téléchargées qui peuvent être inconnues ou différentes de celles que l’utilisateur s’attendait à télécharger complique encore la donne. Dans la mesure où nombre de cas impliquant des téléchargements litigieux sont en relation avec des faits de contrefaçon, on conseillera tout de même au juriste novice de préférer systématiquement à l’action pénale la voie civile, s’épargnant ainsi l’établissement de la preuve de l’intention. Reste que d’une approche déontologique, l’efficacité de cette « ficelle » juridique peut, en raison du manque de formation technique des internautes, poser certaines questions d’iniquité en matière de décision civile,

  • le téléchargement ne suppose pas forcément l’intervention d’un poste informatique au sens traditionnel. Par exemple l’absence de périphérique de stockage en mémoire morte n’empêche pas un terminal informatique de transmettre des informations par téléchargement : les téléphones, caméras sur IP ou les relais informatiques comme les routeurs ou les relais wifi sont représentatifs du mode de fonctionnement sans stockage des informations téléchargées,
  • le téléchargement ne se limite pas aux seuls cas de réception d’information numériques (en anglais : « downloads, » littéralement : « téléchargement descendant » en France et « téléversement » au Québec). La notion recouvre également les cas d’émission (en anglais : « uploads », traduit par « téléchargement montant » en français). En l’état de la technique, l’idée d’un téléchargement se bornant uniquement à la réception de données est même inconcevable et pour cause : la grande majorité des terminaux informatiques connectés aux réseaux de communication se conforment à des règles d’échanges de données (appelées « protocoles ») qui font systématiquement intervenir la réception ET l’émission de données. Les flux descendants permettent à un terminal en aval de réceptionner les données exploitables depuis un terminal en amont, les flux montants permettent au terminal en aval de transmettre des instructions au terminal en amont et de contrôler le bon déroulement de l’opération de téléchargement. Cette distinction sera essentielle pour la bonne appréhension juridique des cas d’atteinte à un système d’information (attaque en déni de service).
  • le téléchargement n’est pas attaché à un type particulier de réseau. Le téléchargement stricto sensu concerne toute forme de télécommunication d’information numérique, quelque soit son infrastructure (réseau aérien ou filaire), son étendue (Internet, réseaux privés étendus, simple liaison isolée entre deux terminaux) ou ses règles de communication (protocole(s) employé(s)). En conséquence, chaque juriste sera encouragé à porter une attention particulière aux moyens de connexion dont disposent les terminaux éventuellement impliqués dans une affaire dont il a la charge. On recommandera également aux hommes de loi de faire œuvre de pédagogie lorsqu’ils recourent aux services d’un officier ministériel chargé de constater une situation liée au téléchargement.
  • « téléchargement » et « résultat de téléchargement » sont des notions juridiquement distinctes. Le langage courant a effectivement rapproché les deux notions : le téléchargement est à la fois une opération de transmission de données mais on nomme aussi de la sorte le résultat d’un téléchargement sous forme d’un fichier exploitable. On recommandera au juriste avisé de bien faire cette distinction, essentiellement pour trois raisons :
    • en négligant que le téléchargement est avant tout un mode de transmission, on risque de négliger les éléments les plus probants dans la qualification juridique de l’opération de téléchargement. En effet, la recherche d’anonymat, de contournement, la bonne foi, l’erreur, la préméditation sont des circonstances qui s’apprécient non pas à l’aune du résultat d’un téléchargement, mais bien après analyse technique des circonstances qui ont précédé, concouru et suivi la transmission des données.
    • un téléchargement n’aboutit pas systématiquement à la copie d’un fichier. Le déplacement, l’édition, l’effacement etc. de tout ou partie de données sont eux aussi des conséquences techniques standardisées d’une opération de téléchargement. Restreindre la notion de téléchargement à la seule obtention d’une copie de fichier expose à une appréhension faussée de toute situation juridique dans laquelle ce concept serait impliqué.
    • L’amalgame entre « téléchargement » et « résultat de téléchargement » augmente sensiblement la possibilité de commettre d’autres erreurs qui seront autant de faiblesses dans un dossier juridique bien construit. La ligne directrice qui nous semble la plus pertinente dans le traitement de tels dossiers restant la pratique d’une curiosité technique permettant de conserver en permanence une idée fidèle des sujets abordés. A l’inverse, le détachement trop important de l’homme de loi le conduira vraisemblablement à des préconisations ou actions parfois si éloignées de la réalité technique qu’elles en deviendront contre-productives. L’exemple le plus probant de la confusion entre « téléchargement » et « résultat de téléchargement » s’illustre sur le terrain du streaming : en considérant que le téléchargement n’est qu’un résultat, on en vient à affirmer que le streaming n’est pas du téléchargement, c’est à dire pas une transmission d’informations numériques par télécommunication.
  • le téléchargement est un concept dénué de connotation morale. Même si l’observation peut sembler évidente, nous rappellerons qu’un téléchargement ne peut être considéré intrinsèquement légal ou illégal, préjudiciable ou non préjudiciable. A combien d’oreilles la notion de « téléchargement de Mp3 » peut rimer avec contrefaçon d’œuvre originale ? Au point que les offres commerciales légitimes sur le marché de la musique numérique lui préfèrent désormais l’appellation aseptisée de « téléchargement légal de musique ». Pour ne pas se fourvoyer, le juriste méticuleux ne devra pas sous-estimer l’impact psychologique de ces associations d’idées médiatisées -y compris sur son propre raisonnement- et privilégier la méthodologie et l’analyse dans chaque dossier relatif au téléchargement. L’analyse de la teneur des informations (type de contenu, nature du contenu, type de protocole utilisé etc.) qui sont transmises par le téléchargement, rapportées au contexte de l’opération (expéditeur, destinataire, intervention volontaire d’une personne physique, chemin emprunté par les informations sur les réseaux etc.) seront à nouveau les seuls éléments sur lesquels l’homme de loi avisé fondera ses conclusions.

Le Streaming : fausse panacée, vrai téléchargement

Le streaming (anglicisme issue de la traduction de « flux » – « stream ») est communément perçu comme un mode de diffusion de données numériques qui permet la lecture d’un flux audio ou vidéo, à mesure qu’il est diffusé. Cette technologie est communément employée par des modèles web tel le site Deezer (musique), son ancêtre Pandora (interdit d’usage sur le Web français), le célèbre Youtube (Vidéo) et autre Dailymotion. Plus largement, ce mode de diffusion est également employé par les opérateurs de télédiffusion et radiodiffusion depuis l’entrée dans l’ère numérique.

Sur un plan technique perceptible, le fait d’activer un streaming, permet à l’utilisateur de percevoir les sons ou vidéo qu’il contient, sans pour autant lui laisser la copie d’un fichier associé sur son terminal.

La technologie du streaming a été principalement développée pour permettre une diffusion plus rapide des contenus multimédia en ligne, en évitant aux internautes l’attente du téléchargement complet d’un fichier pour en découvrir le contenu. A l’époque ou les débits de connexion étaient nettement inférieurs, La société RealNetworks International faisait office de précurseur avec ses fichiers .rm lisibles dès les premières secondes après le début de leur téléchargement.

Dans un second temps, la technologie du streaming a été orientée dans le sens d’une restriction des droits techniques de copie afin de protéger les ayants droit d’œuvres originales potentiellement impactés par l’apparition du standard.

D’un point de vue technique vulgarisé, le fonctionnement de la lecture en streaming est à ce jour le suivant :

  • le terminal de lecture initie et débute la copie par téléchargement des données issues d’une source de streaming depuis le terminal distant,
  • les données copiées par téléchargement sont stockées dans la mémoire tampon du terminal (généralement en mémoire vive ou virtuelle),
  • les données copiées sont lues au fur et à mesure de leur arrivée dans la mémoire tampon par un logiciel de lecture audio/vidéo,
  • les données copiées et lues sont ensuite effacées automatiquement de la mémoire tampon.

Sur le plan technique, le choix de supprimer les données copiées est purement arbitraire, et on peut tout à fait imaginer l’apparition future d’un standard de fichiers proposant à la fois la lecture par flux et la conservation d’une copie après lecture.

Toujours est-il que l’absence d’un fichier final a tant perturbé que de nombreuses personnes ont été tenté d’opposer la notion de streaming à celle de téléchargement (qui dans son sens courant permet justement de réaliser une copie d’un fichier distant).
Sur un plan purement technique, cette analyse est toutefois erronée :

  • comme nous l’avons vu, toute diffusion de streaming sur un terminal informatique, depuis un terminal distant consiste précisément et nécessairement en une opération de transmission d’informations numériques par télécommunication, autrement dite de téléchargement,
  • la distinction repose manifestement sur l’amalgame juridiquement périlleux entre « téléchargement » et « résultat de téléchargement »,
  • il est techniquement possible de réaliser à distance la copie d’une source de streaming à partir de son flux, voir de son fichier originel, ce qui ne rend pas les deux notions inconciliables, même en cas d’amalgame évoqué au paragraphe précédent.

Même si la question de la reproduction des œuvre originales « streamées » reste, en raison de choix techniques contemporains, résolue par l’application de la règle couvrant chaque procédé de représentation et de reproduction technique et provisoire (6° de l’article L. 122-5 CPI.), le streaming n’en reste pas moins une forme de téléchargement à part entière.

Où s’arrête la notion de téléchargement ?

Nous sommes conscients que la définition du téléchargement que nous proposons a vocation à s’appliquer à une multitude de processus techniques, la moindre connexion à un réseau réalisant, avant même l’affichage du premier des caractères d’une page web, un téléchargement auprès d’un serveur DNS. Cette approche ne se veut que le reflet de la technique : les téléchargements sont les flux vitaux des réseaux numériques de communication, ils sont innombrables et effectués en permanence. Cette prise de conscience permettra sans doute aux hommes de loi modernes d’approcher avec plus de résolution et de sérénité les phénomènes liés aux nouvelles technologies pour les traduire en situations de droit.

Notre approche pose tout de même deux limites à la notion de téléchargement : elle est d’une part cantonnée au domaine de l’informatique et ne concerne d’autre part que les informations numériques (exprimées sous forme binaire, de manière à être interprétées par des circuits électroniques). Ainsi, la pratique du code numérique de Samuel MORSE et l’émission contemporaine d’ondes radio analogiques échappent de peu à la désignation de téléchargement. Toujours est-il que l’extension inéluctable des terrains conquis par l’informatique remettra souvent la notion de téléchargement sur le métier du juriste, hier dans nos ordinateurs, aujourd’hui dans nos téléphones, demain dans notre corps ?

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2 Commentaires

  1. Voila un remarquable article.

    • thomas sur 10 juillet 2009 à 9 h 53 min
    • Répondre

    Merci, je ne savais pas, je poste l’info sur le Digg français au cas ou cela aiderait d’autres utilisateurs:

    http://www.digg-france.com/SOCIETE/LOI-SUR-LE-TELECHARGEMENT-TELECHARGEMENT-LEGAL-LEGALITE-DU-TELECHARGEMENT-EN-FRANCE

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